Catégorie : Analyses
Emmanuel Macron, le président qui se veut « jupitérien »
Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise
Le 16 octobre 2016 déjà, Emmanuel Macron utilisait l’adjectif jupitérien pour qualifier la manière dont un président devrait exercer le pouvoir :
« Je ne crois pas au président normal. Les Français n’attendent pas cela. Au contraire, un tel concept les déstabilise, les insécurise .» Et de fustiger « une présidence de l’anecdote, de l’événement et de la réaction [qui] banalise la fonction » – sorte de critique en creux de tout ce qu’a voulu incarner François Hollande depuis son élection le 6 mai 2012. Au contraire, la France a besoin d’un chef de l’État « jupitérien », estime l’ancien ministre. Ses modèles ? Le général de Gaulle et François Mitterrand, qui avaient « une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer, un sens et une direction ancrés dans l’histoire du peuple français. »
Depuis son élection, les médias reprennent très largement cet adjectif, qui semble être devenu un buzz word :

Comme bien souvent dans ces cas de propagation lexicale, le sens des mots peut passer au second plan, au profit de son usage. Certes, le rappel de Jupiter est généralement évoqué dans les commentaires, mais sans s’interroger sur le fonctionnement en discours d’un tel nom propre. Le sujet du nom propre (Np) fait l’objet d’un certain nombre de travaux universitaires en sciences du langage, par exemple dans cet article de Guy Achard-Bayle :
« Le Np est une étiquette qui « colle » diversement à la peau des personnes dont l’identité évolue plus ou moins radicalement ; mais non pas selon que cette identité personnelle évolue plus ou moins radicalement. Il en résulte un comportement du Np particulièrement plastique dans ces cas : d’un côté, il est capable de fonctionner ou de continuer de fonctionner « vide de sens » ou comme un strict « label » référentiel, extensionnel, c’est-à-dire quelles que soient les conditions (contextuelles, pragmatiques, ontologiques, descriptives ou intensionnelles) de son emploi ; de l’autre, il est susceptible de « disparaître », si la personne elle-même perd son identité, comme telle. »
Le discours qui ajuste
Deux choses nous intéressent ici pour analyser la qualification d’Emmanuel Macron par l’adjectif jupitérien :
- en utilisant la référence à Jupiter, le discours « ajuste » le sens du terme jupitérien pour coller à un réel qui se construit dans les textes. Ce terme devient un « label » pour catégoriser le Président, créer une image, dont le trait peut être forcé également par effet de contraste avec le Président « normal » que cherchait à être François Hollande ;
- le terme peut se vider de son sens, ou s’incarner car des dimensions qui ne sont pas initialement présentes dans le sens du mot. Les discours font vivre le sens, et c’est davantage une scénarisation du Président qui est à l’œuvre qu’une stricte catégorisation.
Le dictionnaire en ligne CNRTL confirme que cet adjectif « évoque le dieu Jupiter ou ses attributs », et s’incarne dans des exemples tels que la contraction jupitérienne de ses sourcils « qui a un caractère imposant, dominateur » (Balzac, Langeais, p. 255). Dérivé de Jupiter, lat. Jupiter « fils de Saturne, roi des dieux et des hommes », cet adjectif a déjà une charge sémantique plus importante que les simples « verticalité » ou « rapport au pouvoir » évoqués dans la plupart des médias. Dans le recours à cet adjectif par Macron, on a certes en germe l’autorité et le rapport au pouvoir. Mais on a aussi la domination, le pouvoir d’ordre divin, la possession d’attributs du pouvoir. Le Larousse en ligne nous indique d’ailleurs que de nombreuses épithètes peuvent préciser ces pouvoirs :
« Homologue de la divinité étrusque Tinia, il était à la fois dieu père et dieu du Ciel. Devenu le dieu principal et souverain, il fut assimilé au Zeus grec. Ses pouvoirs étaient définis par de nombreuses épithètes : Jupiter Elicius, qui faisait tomber la pluie ; Jupiter Fulgur, dieu du Tonnerre et de la Foudre ; Jupiter Stator, qui arrêtait les ennemis ; Jupiter Feretrius, le dieu des Trophées ; Jupiter Capitolin, auquel était consacré le grand temple du Capitole de Rome et où il était adoré avec Minerve et Junon. »
Le caractère jupitérien recouvre donc un potentiel de sens très large, qui reste éclairant pour la prise en compte de la conception du pouvoir du Président, et de la manière dont il est perçu par les commentateurs.
Du Christ à Dieu
En reprenant au pied de la lettre de côté « divin », je ne peux m’empêcher de trouver un écho à la figure christique, voire biblique, qui apparaissait dans la campagne.
Comme dans cet extrait de Bernard Dugué :
« L’autre interprétation repose sur Macron incarnant un personnage biblique. Lors d’une émission télévisée sur la Trois, l’un des invités évoqua une figure christique pour ensuite se décaler vers une autre figure, celle de Moïse. En ce cas, la marche de Macron symbolise la sortie d’Egypte et pour plus de précision, on lira ce lumineux texte que représente l’Exode et qui s’il est interprété au niveau le plus haut, raconte non pas une sortie depuis un espace mais depuis un temps. »
Ou dans les propos d’Emmanuel Macron : « La dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas. Je ne cherche pas à être un prédicateur christique ».
Comment ce passage – du Christ à Dieu – peut-il s’incarner concrètement ? La première hypothèse réside dans l’analyse du discours d’investiture, et sa comparaison aux discours de la campagne. En effet, à partir de l’analyse de l’ensemble des tweets du candidat Macron lors de la campagne, on remarque qu’« Europe » est un pivot central de son discours, notamment pour articuler « France » et « français ».

Or, en faisant une rapide analyse du discours d’investiture, on constate que « monde » a remplacé « Europe ».

Le président Macron prend donc effectivement « de la hauteur », en changeant d’échelle.
Du Christ à Dieu, de l’Europe au monde, les commentaires sur Emmanuel Macron, et ses premiers pas discursifs, confirment le « jupitérianisme » de sa présidence. Mais il ne faut pas se focaliser sur le buzz de cette qualification, et voir l’épaisseur sémantique de ce mot : la conception du pouvoir est cohérente avec les projets de réforme rapides (par ordonnance) ; le changement d’échelle (de l’Europe au monde) représente la présidentialisation du candidat et de sa politique ; la prise en compte du pouvoir (dans le discours d’investiture) comme « protection » des Français, et prise en compte de la responsabilité.
Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Pourquoi les mots droite et gauche sont simplistes et ne permettent plus de percevoir la réalité politique
On se retrouve à devoir faire des contorsions linguistiques (se droitiser, gauchisant, extrême-droite/gauche), comme si le monde politique ne pouvait être perçu que de manière linéaire et selon cette latéralité.
Pour le philosophe Ludwig Wittgenstein, « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde ». En effet, sans mots à mettre sur ce qui est perçu, les individus ne se représentent pas certaines réalités, alors que ces réalités deviennent « réelles » pour eux au moment où elles sont nommées. C’est notamment l’enseignement de la sémiologie/sémiotique, les « sciences des signes », qui montrent que « la place du monde sémiotique se situe en position médiatrice chez l’homme entre le monde physique et le monde des (re)présentations » (voir cet article de François Rastier). Le monde doit être « sémiotisé », c’est-à-dire être (dé)coupé en signes par les sujets, qui le perçoivent ainsi par ce biais.
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Le discours du FN sur l’islam à l’épreuve des tweets
Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise
Alors que la campagne présidentielle piétine, et que les débats de fond ont du mal à émerger dans l’espace public, les réseaux sociaux offrent un espace aux candidats pour développer leurs thèmes et asseoir leur idéologie. C’est en particulier le cas sur Twitter, où les prises de parole des candidats sont relayées de manière très précise et complète – que ce soit lors des matinales, des meetings, des conférences, etc.
Le site #Idéo2017 propose depuis plusieurs mois des articles qui analysent les débats (depuis les primaires de droite) à partir de l’export des tweets des différents protagonistes. Depuis le 29 mars, la plateforme en ligne #Idéo2017 permet ainsi aux citoyens de mener eux-mêmes leurs recherches, à partir du portail qui propose plusieurs manières d’aborder les choses :
L’utilisateur peut chercher à comparer l’usage de certains termes les plus emblématiques des discours politiques par les candidats, analyser des corpus de candidats, ou accéder à un moteur de recherche intuitif et dynamique.

Ces trois aspects sont complémentaires, et #Idéo2017 entend proposer non pas des résultats bruts et isolés, mais des cheminements, des réponses à des hypothèses, qui aideront les citoyens à mieux percevoir les thèmes, les idéologies, et les clivages, dans la campagne.
Scientifiquement, cela repose aussi sur la complémentarité de certaines analyses, et de plusieurs technologies. Les analyses sont réalisées à l’aide de plusieurs langages et outils, notamment ElasticSearch pour stocker les tweets, les scripts Iramuteq pour certaines analyses, distribués sous les termes de la licence GNU GPL (v2) et ElasticUI pour le développement du moteur de recherche.
Le terme « islam » dans le discours du FN
Un exemple intéressant est celui du mot « islam ». Si on cherche à comparer son usage par les différents candidats, on obtient ce graphique (qui indique le sur/sous emploi du mot chez chacun des candidats au regard de l’ensemble des tweets recensés) :
On constate ainsi le sous-emploi de « islam » par Marine Le Pen, et l’emploi relativement modeste par François Fillon. Il s’agit de la forme « islam », sans les termes qui peuvent être associés. On peut alors chercher l’emploi de ce mot et de ses dérivés, et en observer leur fréquence :
Même si le calcul n’est pas le même que dans le graphique précédent (ici il s’agit de fréquences), on perçoit néanmoins que l’usage du mot « islam » n’est pas neutre car ses dérivés semblent être un enjeu fort dans la rhétorique de certains candidats. Ceci se voit d’ailleurs dans la représentation visuelle des associations faites autour de ce terme :
« Islam » est en effet très lié à différents réseaux ou nœuds qui ouvrent sur des enjeux discursifs très marqués : autour des associations « islamisme-immigration-communautarisme », mais aussi « islamiste-fondamentaliste-idéologie-attentat-terrorisme », ou encore « islamique-totalitarisme-Syrie » par exemple.
Ce parcours nous invite donc à nous pencher de manière plus précise sur les différents emplois du mot « islam » et de ses dérivés. Le retour au corpus est rendu possible grâce à la partie « navigation » par filtre, qui permet une représentation par facettes.
La recherche « islam » ouvre sur les différents résultats de ce mot et ses dérivés par moteur de recherche :

On accède ainsi aux contenus des tweets, et même le lien pour les voir ensuite directement dans leur environnement natif sur Twitter. Par exemple, pour Marine Le Pen : avec « islamistes fichés S », « fondamentaliste islamiste », « fondamentalisme islamiste » qui indiquent le travail de suffixation en -iste ou -isme et l’emploi comme adjectif de termes comme « fondamentaliste/isme » (eux aussi avec -iste et -isme) qui vient à personnifier et idéologiser la mise en discours de l’islam.
Construction du discours frontiste
C’est un ressort fréquent de la rhétorique du Front national (avec des termes comme « mondialisme », « européisme/iste », etc.) qui consiste à reformuler les sujets jugés problématiques pour les faire entrer dans des catégories de notions idéologiques. En effet, selon le dictionnaire en ligne TLFI, le -isme implique par exemple une prise de position vis-à-vis de l’objet suffixé ; avec le -iste, le mot suffixé désigne celui qui adhère à une doctrine, une croyance, un système, un mode de vie, de pensée ou d’action, ou exprime l’appartenance à ceux-ci.

On peut alors se demander si cette question de l’islamisme est une question centrale dans la rhétorique de Marine Le Pen : l’analyse de son propre corpus, avec la fonctionnalité des thématiques, donne cette visualisation :

DR
On constate alors qu’« islamiste » et « fondamentalisme » ressortent de ce graphique – ce qui indique qu’ils constituent les éléments principaux d’un thème, auquel sont également rattachés des termes comme « terrorisme », « communautarisme », « femme », « lutte », etc. Cette thématique représente 9,1 % du corpus de Marine Le Pen (classe 2 ci-dessous), et est liée à la thématique importante qui contient « peuple-France-nation-République-national-ordre » par exemple (classe 1) :

DR
On comprend alors que si le mot « islam » est peu représentatif des tweets de Marine Le Pen, ses dérivés en -iste et -isme le sont beaucoup plus. Ils thématisent cette question religieuse en rapport avec une idéologie (-isme) extrême (« islamisme radical ») ou des individus radicalisés (« fondamentalisme islamiste »), produisant une association forte avec le terrorisme. Ceci passe donc par un travail sur le discours, par la construction de termes qui se prêtent aux amalgames (immigration et terrorisme, religion et terrorisme) en évitant de potentielles polémiques autour de la question de la religion musulmane (islam).
Nouveaux résultats, nouvelles hypothèses, qu’il s’agit ensuite de vérifier, confronter, et analyser. #Idéo2017 vise donc à faire expérimenter et éprouver le discours politique, à travers la mise en place d’analyses et d’outils, pour que chacun puisse construire son point de vue sur les discours auxquels il est confronté.
Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Ce que l’on apprend des candidats quand on analyse comment ils s’expriment sur Twitter
Sur Twitter, les prises de parole des candidats sont relayées quasiment en direct, rendant compte des prises de positions dans les matinales, les meetings, les forums, les conférences de presse, etc.
Sur le site Idéo2017 je propose, en collaboration avec l’équipe du projet #Idéo2017, des articles qui analysent les débats et événements depuis les primaires de droite. Le 29 mars, la plateforme Idéo2017 a été mise en ligne: elle permet aux citoyens, à partir du portail suivant, de mener des recherches dans le corpus des tweets des candidats (recensés depuis le 1er sept 2016, et mis à jour quotidiennement).
Sur la partie gauche, l’utilisateur peut chercher à comparer l’usage de certains termes les plus emblématiques des discours politiques par les candidats; au milieu, il peut analyser des corpus (soit celui de l’ensemble des candidats, soit celui d’un candidat en particulier); sur la partie de droite, il peut accéder à une interface intuitive et dynamique qui permet de faire des recherches dans les tweets et de pouvoir accéder aux liens des tweets dans leur environnement.
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Les candidats vus à travers les mots qu’ils ont le plus utilisés au « Grand débat » de la présidentielle
Au lendemain du grand débat pour la présidentielle, où 5 des 11 candidats ont pu exposer leurs idées et leurs programmes sur différents sujets, chaque camp commente les échanges, en déduit la victoire de son candidat, ou s’appuie sur différents sondages qui donnent « victorieux » tel ou tel candidat. Dans cette analyse, je m’intéresse au combat des mots, à travers les termes employés dans les réponses des candidats lors du débat, afin de déterminer ce qui est spécifique à chacun d’entre eux.
Le corpus d’étude est constitué des tweets produits sur les comptes des 5 candidats (conformément à la méthodologie développée dans le cadre du projet #Idéo2017 qui considère le tweet politique comme un genre spécifique du discours politique), ces tweets reproduisant leurs déclarations lors du débat, soit:
38 tweets sur le compte de Benoît Hamon, 27 sur le compte d’Emmanuel Macron, 42 sur le compte de François Fillon, 99 sur celui de Jean-Luc Mélenchon, et 113 sur celui de Marine Le Pen.
Pour « mesurer » les aspects caractéristiques des différents candidats, j’utilise un calcul de spécificités, qui est un calcul statistique indiquant si les occurrences d’un mot paraissent en sur-effectif (ou en sous-effectif) chez un candidat par rapport à l’ensemble du corpus et en comparaison avec les autres candidats.
Ceci permet de dresser des profils lexicaux des candidats qui sont significatifs comparativement à leurs concurrents. Il en ressort quelques résultats surprenants, mais beaucoup très cohérents avec les profils discursifs déjà caractérisés dans de précédentes études.
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Le Pen and Macron: same words but different meanings
By Julien Longhi, professor of linguistics, Université de Cergy-Pontoise
Marine Le Pen and Emmanuel Macron are the pollsters’ favourites to go head-to-head in the second round of the French presidential elections. While they come from different backgrounds, both candidates oppose belonging to an established political “system”; both claim to represent the “people”; and both benefit from an appreciation for what is “new or novel” in French politics. They distinguish themselves, however, on subjects including the future of Europe or the Euro single currency.
In order to provide a complimentary point of view to political, economic and judicial punditry, I propose here a linguistic analysis of the candidates’ two programmes based on statistical analysis called textometry. This method of analysis highlights the specific aims of each programme as well as comparing the goals of the two candidates.
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Les politiques ne maîtrisent pas toujours la violence symbolique de leur langage
Par Lise Loumé
François Fillon a déclenché de vives réactions sur les réseaux sociaux après avoir répété qu il n’était pas « autiste » au JT de France 2. Comment expliquer l’ampleur de cette polémique ? Décryptage avec l’aide d’un spécialiste.
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Jean-Luc Mélenchon sur YouTube : « The medium is the message », mais pas toujours
Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise
La célèbre phrase de Marshall McLuhan, « The medium is the message », incite à penser que le médium a une grande importance sur la transmission d’un message. À ce titre, l’usage de YouTube par Jean-Luc Mélenchon est intéressant, car il rencontre une forte audience, et vraisemblablement une écoute attentive. Ceci a notamment été perçu lors du chiffrage de son programme, le 19 février, pendant plus de 5 heures.
Les points importants de cette vidéo ont été repris sur le compte Twitter de @JLMélenchon, avec #JLMchiffrage. Pendant ces 5 heures, 142 tweets ont été produits. Comme développé précédemment dans le cadre du projet #Idéo2017, le tweet comme genre du discours politique permet d’avoir une retranscription synthétique des diverses prises de paroles des personnalités politiques (matinales, meetings, conférences de presse, etc.). À ce titre, l’événement #JLMchiffrage a permis de rendre compte des différentes thématiques développées, comme le montre ce dendrogramme réalisé à partir de ce corpus des tweets :
Image 1 : thématiques des tweets de @JLMelenchon avec @JLMchiffrage.
Cette classification lexicale, qui procède par regroupements statistiques, permet de faire émerger les grands domaines lexicaux d’un corpus, et d’en dégager les principaux thèmes. Dans ce cas, l’emploi, la pauvreté, les salaires et l’investissement sont au cœur du projet.
Pour « mesurer » la portée de cet exercice sur YouTube, j’ai relevé les articles qui, au 20 février (le lendemain), contenaient les mots-clés « Mélenchon + chiffrage » : 16 articles étaient disponibles. Parmi eux, 10 articles se focalisaient entièrement sur l’événement YouTube. En procédant à la même analyse thématique, la classification suivante est obtenue :
Image 2 : thématiques issues des 10 articles de presse liés au chiffrage de son programme.
Il est question d’emploi, d’impôt, d’investissement (dans le logement notamment) et du service public. On perçoit donc quelques différences de point de vue et de traitement (les mots les plus caractéristiques ne sont pas exactement les mêmes), mais la reprise dans la presse du sujet, des axes et des points importants, semble sérieuse et fidèle.
Ceci se mesure encore plus avec l’usage d’un autre logiciel (Tropes), qui permet de rendre compte de ce qui suit :
1) Du contexte général
2) Des thèmes
Bien sûr, le nombre d’occurrences des contextes ou thèmes diffère (car la taille des corpus est différentes), mais c’est l’ordre qui est intéressant : il est en effet relativement proche dans les deux colonnes, ce qui indique que la reprise par la presse du cadre et du contenu de la présentation est fidèle thématiquement, et même dans la proportion de traitement des différents sujets.
Une conclusion provisoire pourrait donc être qu’un tel exercice sur YouTube, même long et technique, reçoit une écoute attentive et permet une retranscription fidèle.
L’écologie passe inaperçue
Pour vérifier cette hypothèse, j’ai procédé à une analyse similaire autour de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon lors de la journée de l’écologie de la France insoumise, le 25 février dernier. 86 tweets ont été publiés sur le compte @JLMelenchon avec le #EcologieFI (pour écologie France insoumise). La production d’articles étant moindre, j’ai étendu au lendemain et surlendemain, soit les 26 et 27 février, avec une recherche par les mots-clés « Mélenchon + écologie » : 8 articles sont ainsi trouvés, mais un seul évoque précisément l’événement sur YouTube – les autres traitent de l’alliance du PS avec les écologistes notamment et ne font que mentionner le candidat Mélenchon.
La taille du corpus ne permet pas de faire les mêmes analyses thématiques, mais le relevé des mots les plus employés dans les deux corpus est néanmoins éclairant :
Image 3 : Lexique dans les tweets #EcologieFI
Image 4 : Lexique de l’article
Alors que le candidat Mélenchon étaye son propos avec des considérations politiques assez abstraites (capitalisme, modèle) ou sur l’Europe, l’article s’intéresse davantage à l’agriculture (en lien avec le salon de l’agriculture notamment) et au contexte électoral.
Cet autre exercice sur YouTube n’offre donc pas du tout la même conclusion que le premier : alors que le chiffrage conduisait à une reprise dans plusieurs articles, avec une certaine fidélité et consistance, l’écologie passe inaperçue, à la fois quantitativement (1 seul article) et qualitativement (déperdition des aspects théoriques et fondamentaux au profit des aspects contextuels du salon de l’agriculture).
Le message peut annihiler le média
Ainsi, si la stratégie de Jean-Luc Mélenchon sur YouTube connaît souvent une bonne efficacité, on peut dire que le sujet est également d’une grande importance, et en la matière, le chiffrage est plus populaire que l’écologie. Le médium est peut-être parfois le message, mais le message peut en retour annihiler le médium. Le bon moment pour la communication politique de mieux penser la complexité des rapports entre fond et forme, et le lien consubstantiel entre les deux.
Plus en rapport avec le sujet du projet #Idéo2017 évoqué plus haut, cette distinction montre que Twitter reste un bon moyen d’accès à l’information politique, puisque la déperdition d’information constatée dans la presse ne se produit pas dans les tweets. Le réseau social joue donc le rôle de médium social, et conforte l’intérêt d’une étude des messages qui y sont produits.
Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
La thèse de l’assassinat ou comment le justiciable François Fillon tente de devenir justicier
Article publié sur le Huffington Post
Quelques heures à peine après la conférence de presse de François Fillon, qui a annoncé son maintien dans la course à l’élection présidentielle, beaucoup de commentaires ont repris la forme de la conférence, certains termes emblématiques, ou ont commenté l’opportunité de cette déclaration.
Afin de mettre en valeur la stratégie du candidat, j’ai repris la déclaration, et je l’ai soumise à un traitement linguistique et statistique, afin d’en faire ressortir certains traits, qui permettent ensuite d’analyser l’argumentation du candidat.
Ce qui est remarquable, et se repère statistiquement, c’est que le texte est clairement organisé autour de 3 pôles lexicaux (mots utilisés), qui caractérisent respectivement: le début de la déclaration; la séquence sur l’assassinat; la fin. Ce graphique l’illustre:
Ainsi les parties intitulées « Déclaration » (débuts)/ »faits »/la définition de « justiciable » sont associées, « Assassinat » est isolé, et « Convocation »/ »France »/ira jusqu’au « bout » sont proches.
Ceci permet aussi de noter que le discours est particulièrement travaillé, et de repérer la stratégie argumentative.
La présentation comme « victime »
Dans la première partie, François Fillon se définit comme victime: « je ne reconnais pas les faits », « je n’ai pas été traité comme un justiciable comme les autres », « La présomption d’innocence a complètement et entièrement disparu ».
La victime d’un assassinat
Après cette séquence assez technique et descriptive, il se désigne victime d’un assassinat, ce qui est le cœur de son argumentation: en effet, avec l’assassinat, on a la qualification du « crime » (injuste, destruction, préjudice), et la désignation implicite d’un coupable (l’assassin).
C’est en particulier ce passage qui est représentatif:
« Nombre de mes amis politiques, et de ceux qui m’ont soutenu à la primaire et ses 4 millions de voix, parlent d’un assassinat politique. C’est un assassinat en effet, mais par ce déchaînement disproportionné, sans précédent connu, par le choix de ce calendrier, ce n’est pas moi seulement qu’on assassine. C’est l’élection présidentielle. C’est le vote des électeurs de la droite et du centre qui est fauché. C’est la voix des millions de Français qui désirent une vraie alternance qui est muselée. C’est le projet du redressement national que je porte qui est expulsé du débat. C’est la liberté du suffrage et c’est la démocratie politique elle-même qui sont violemment percutées. »
Cette séquence est caractérisée par la forte présence du verbe « être », notamment avec le « c’ « , qui permet à François Fillon d’argumenter par la construction d’évidences et de réalités (« cela est »):
- Il débute par une mise en scène énonciative: le candidat n’assume pas la paternité de la nomination « assassinat » mais la délègue;
- Cette délégation est accordée de manière « crescendo »: « Amis », « soutiens », « 4 millions de voix »: ils parleraient tous d’un assassinat, alors même que cette affirmation est une appréciation « filtrée » de la réalité;
- Le crime commis est en fait plus large: c’est l’élection qui est assassinée;
- Si on parle d’assassinat, cela présuppose un « assassin », donc un coupable: il rejette la culpabilité sur quelqu’un (la justice, ou ceux qui ont orchestré cette enquête);
- Il utilise un lexique de la violence: violence routière (« fauché », « percutée ») ou oppressive (« muselée », « expulsé »).
La victime, c’est la France: le crime est violent
Posé ainsi en victime, le candidat se distingue néanmoins de la posture de Marine Le Pen: « Je veux qu’il ne subsiste aucun doute à cet égard: je me rendrai à la convocation des juges. Je suis respectueux de nos institutions ». Ainsi présenté comme victime, il ne s’oppose pas au « système », mais justifie sa décision: « Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas. Je ne me retirerai pas. J’irai jusqu’au bout parce qu’au-delà de ma personne, c’est la démocratie qui est défiée ».
Le texte se poursuit notamment par le recours à la « France »:
« La France est plus grande que nous. Elle est plus grande que mes erreurs. Elle est plus grande que les partis pris d’une large part de la presse. Elle est plus grande que les emballements de l’opinion elle-même. »
Même s’il concède des « erreurs » (qui résonne avec le « je ne me rendrai pas » précédent, et maintient néanmoins un certain degré de culpabilité), il place sa défense en lien avec quelque chose qui « nous » dépasse, et dont la légitimité ne peut être niée. Il prend ainsi de la hauteur, et prétend incarner un nouveau rôle.
De justiciable accusé à justicier
Ainsi, par cette scénarisation habile, de la victime à l’assassinat, de lui à la France, François Fillon justifie son maintien à l’élection (malgré ce qu’il avait affirmé) par la lecture des événements comme « assassinat démocratique »: ce n’est donc pas personnellement qu’il prend sa décision, mais pour réparer une injustice, un crime. Face à une accusation, il se positionne comme victime d’un crime; comme soumis à la justice, il se présente comme défenseur contre l’injustice. La partie centrale de la déclaration, isolable par sa forme et ses éléments de langage, prouve ce travail de construction d’un réel (« c’est »), qui vise à articuler, par le pivot de l’ « assassinat », cette « transition » du rôle d’un justiciable accusé à un justicier défenseur, et défenseur contre l’injustice.