Le tweet, un genre du discours politique

Le FN en 144 engagements, et 140 signes

Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise

Le 4 février, le Front national (FN) a dévoilé le programme de Marine Le Pen, à travers 144 engagements. Toujours coordonnés et efficaces sur les réseaux sociaux et le web, les différents comptes actifs du parti ont relayé les propositions :

ou

ou encore

 

Ce programme décline la France en un certain nombre d’adjectifs : « libre », « sûre », « prospère », « juste », « fière », « puissante » et « durable ».

Et depuis, ce week-end et lundi notamment, le FN a été bien présent dans les émissions politiques. J’ai choisi de m’intéresser aux passages de Marine, Marion Le Pen et Florian Philippot. Lesquels ont été repris sur les comptes Twitter :

  • Compte de @MLP_officiel avec #LeGrandRDV : 19 tweets
  • Compte de @Marion_M_Le_Pen avec #LeGrandJury : 94 tweets
  • Compte @FN_officiel avec #PolMat qui a relayé le passage de Florian Philippot : 16 tweets

En effet, la communication numérique orchestrée sur ces comptes montre bien que Twitter est un relais quasi exhaustif de la prise de parole médiatique lors de campagnes : les interviews, réactions, etc. sont « live-tweetées » par les community managers des candidats, sur le compte officiel de la personnalité, ou celui du parti.

On est bien loin de la caricature de la réduction de la pensée en 140 signes, que l’on peut entendre de manière récurrente, et ce dimanche même par exemple par Lucas Belvaux dans #cpolitique :

À partir de ce petit corpus (129 tweets), j’ai procédé à une analyse textométrique qui permet de faire émerger les grands thèmes abordés. La figure suivante présente les résultats

J. Longhi/DR

Si la classe 1 regroupe des éléments techniques (# et @), la classe 2 reprend les éléments véhiculés par Marine Le Pen, la classe 3 ceux par Florian Philippot, et les classes 4 et 5 par Marion Maréchal Le Pen.

À partir de ce repérage, nous pouvons détailler la manière dont ces thèmes sont abordés.

Marine Le Pen et la monnaie : la France « libre », « prospère » et « juste »

Le discours de Marine Le Pen reprend les thèmes principaux et habituels du FN, mais elle thématise particulièrement la question de la monnaie :

En plus d’être un argument économique, cette question devient un élément patriotique : une monnaie nationale est pour elle nécessaire pour être un « pays libre ». En outre, elle permettrait à la France de ne plus être une victime :

Avec le terme « chantage », qui place la France en position de victime, le coupable étant implicitement l’Union européenne…

Ce programme monétaire est, en outre, le socle de la justice revendiquée dans le programme :

Pour Florian Philippot, la France « juste » et « sûre »

Florian Philippot a un discours assez large, qui balaye des sujets de politique (comme François Fillon) :

Ce discours lui permet d’aborder aussi d’autres questions, comme la sécurité, ou encore les questions démocratiques plus globales :

Marion Maréchal Le Pen : la France « sûre » et « fière »

De son côté, Marion Maréchal Le Pen a un discours très tranché, qui s’inscrit notamment dans la thématique du peuple contre les élites :

L’exemple de Trump permet de mettre à distance les « élites », et de tirer profit de la fierté du peuple. Ceci justifie également le discours face à l’immigration sous couvert de « sûreté », en associant dans un même temps et sans précautions « ressortissants » et « terrorisme » :

Elle adopte un discours également très incisif envers les « jeunes » :

Et « défend » une certaine image de la jeunesse :

À partir de ce petit corpus, nous pouvons donc examiner la mise en œuvre de la communication du FN autour des propositions de sa candidate : à travers des émissions médiatiques de forte audience, et le relais des séquences les plus fortes sur les réseaux sociaux, les figures emblématiques mettent en musique la partition gérable proposée dans les propositions : « sûreté », « fierté », « liberté », « prospérité », etc., sont mis en discours de manière plus ou moins spécifique (à travers la monnaie par exemple), contextuelle (en lien avec les événements de Bobigny), personnalisée (la question de la jeunesse par Marion Maréchal Le Pen), mais toujours avec une forte cohérence.

Loin de réduire la pensée, la communication sur les médias sociaux, sur Twitter en particulier, est d’une grande force et efficacité. Ne pas en tenir compte, c’est s’exposer à des effets de « bulles » médiatiques et ne pas mesurer l’impact de ces « données » sociales sur les processus électoraux.

L’application #Idéo2017 proposera prochainement des manières de mieux percevoir et appréhender ces stratégies, et ce chez l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle.

The Conversation

Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Emmanuel Macron and Twitter: how France’s leading presidential candidate is building a narrative

Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise

With France now in the full swing of its presidential campaign, the importance for each politician to have a compelling narrative has never been clearer.

This is particularly true for Emmanuel Macron, former finance minister, who has been working to build a national following outside of the country’s two mainstream political parties. While he served in the Socialist government of outgoing president François Hollande, he was never a member of the party, nor of the opposing Républicains. His August resignation sparked rumours of a presidential bid, and he finally declared his candidacy in November as the leader of his own political movement, called “En Marche!” (Forward!).

The concept that stories, not ideas, drive voters’ decisions found their way to France by way of a 2007 book by Christian Salmon, “Storytelling: The Machine for Creating Ideas and Forming Minds” and subsequently spread to political commentators. While the borrowed-from-English term “storytelling” is sometimes used here to describe routine political communications, the importance for candidates to create a narrative was understood, and Macron has taken the lesson to heart.

Macron has been called a “catch-all candidate” but it’s one thing to attract interest from across the political spectrum and another to win France’s highest office. What’s required is a communications narrative that brings it all together, and Macron has been working assiduously to build one.

We and us

To better understand narratives within the shifting range of political campaigns in France – from actions taken before candidacies are even declared into the primaries themselves and beyond – our research team developed a Twitter analysis methodology as part of the project #Idéo2017. In particular, we used the software program Tropes, which allows us to describe the style of a body of text – or tweets, in this case.

Our work focused on 500 tweets published by Emmanuel Macron’s account (@EmmanuelMacron) up to January 20, 2016. Summed up, the results are:

  • Narrative: the tweets tell a story at a particular moment in time and in a specific place

Digging deeper into the tweets, the word “we” is particularly present. A comparison with the tweets from the account of François Fillon (@francoisfillon, candidate of the centre-righ Les Républicains, highlights the importance of “us” in Emmanuel Macron’s narrative. For example:

Here, “We need Europe” followed by “Europe makes us bigger and makes us stronger”. This is sometimes combined with “you”, bringing readers into the narrative:

“The spring will be ours”, Macron tweets, a reference to the upcoming May election. “You will triumph for our ideas”.

Macron’s narrative falls within a framework of continuous movement, embodied in the very name of Macron’s policial group, “En marche!”, which I analysed earlier.

We combine the use of “we” and the feeling of a political movement being “set in motion” with the themes being evoked to better understand the narrative Macron and his team are working to build. This emerges visually on the word cloud extracted from within the body of tweets:

The most common words – “Europe”, “France”, “French”, “country” – are combined elements that evoke the physical context of the story being told (“enmarchebordeaux”, “macronlille”, “macronclermont”) and supported by more programmatic elements (“work”, “revolution”, “health”).

Characters, scenery and a man of action

This is further elaborated on the following graphic, which highlights Macron’s major themes:

The two central columns concern Europe (column 1, with verbs like “take”, “act”, “render”, “re-create”) and France (column 2, with terms such as “project”, “emancipation”, “build”) and have the greatest lexical proximity. Thus, the narrative being proposed to French citizens links them to Europe, through which the changes and proposals largely pass.

By analysing the relationships between categories, it is possible to separate elements within the tweets between those that take action and those that are acted upon: “Macron” and “enmarche” (his party) are change agents, while “Europe”, “French”, “nation”, “project”, or “work” are being acted upon. This acting-on/acted-upon dynamic can be seen in the following tweets:

Marcron tweets: “I want unemployment protection to become a universal protection.” Another example follows: “Because I’m the candidate of those who work, I want to simplify the regulations for those who create and innovate.

Or in this tweet:

Here Macron writes, among other things: “Today I defend one sovereign Europe, one Europe that unites its people.” Linguistically, the connection of action to politics is explicit.

Creating the narrative thread

A cloud of words in category 4, relating to Macron’s proposed political program, brings this home:

Many of the terms relate to employment and the economy, as well as the actors within these themes – “employee”, “company”, “student”). Within these tweets, Macron does the following:

  • Sketches out a landscape (France and more generally Europe) that itself requires certain postures and actions;
  • Places himself as the active player within the setting who is the driving force of action;
  • Interacts with a range of others, performing actions generated by the narrative thread.

While some recent polls show Macron as one of the leading candidates – particularly as François Fillon’s difficulties worsen – it’s hard to say how this might play out in the election itself, particularly given recent polling difficulties in other countries.

In his campaign for presidency of France, Macron is very much developing a narrative, with a range of tools widely used today in storytelling. And the psychological and cultural dimensions of the narrative – familiar stories, persuasiveness, projection and emotion – help explain its current success.

The Conversation

Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Ce que vous pensez de l’affaire Fillon selon que vous employez #PenelopeGate ou #FillonGate

Article initialement paru dans le Huffington Post

Les réseaux sociaux donnent accès à une abondante production de commentaires à propos des événements qui entourent François Fillon. Dans ce cas, deux fils de messages sont concurrents sur Twitter (même si des messages s’inscrivent dans les deux) : #Fillongate, et #Pénélopegate. Il serait déjà probablement intéressant de s’intéresser à la dysmétrie introduite entre « Fillon » et « Pénélope » (et pourquoi pas « François » et « Pénélope », mais ce n’est pas l’objet de ce billet).

Pour essayer de tirer des informations de ces fils de messages, nous avons extrait (dans le cadre du projet #Idéo2017) les 17045 tweets/retweets de #Fillongate entre le 04/02 et le 06/02 d’un côté, et les 15587 tweets/retweets de #Penelopegate 04/02 et 06/02.

L’analyse des formes utilisées dans ces deux corpus ne semble pas très différente en apparence :

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Formes dans le corpus #Fillongate Formes dans le corpus #Penelopegate

Dans les deux cas, le terme « affaire » est employé, qui dans ce cas a le sens de « scandale ». Mais si on cherche ce qui distingue ces deux corpus, on entrevoit deux lectures légèrement différentes de cette affaire.

Le #Penelopegate: du bénévolat à la théorie du complot

Dans le cas du #Penelopegate, deux éléments se distinguent: le recours à l’ambigramme, et l’usage de « Macron ».

Concernant l’ambigramme, ce tweet nous explique ce dont il s’agit :

 

Ceci donne une existence ludique à l’association entre « Pénélope » et « Bénévole ». Bien que ludique, cette association a du sens dans le corpus: un travail bénévole n’est pas rémunéré, or Pénélope Fillon est accusée de ne pas avoir travaillé, mais d’avoir reçu une rémunération. L’ambigramme n’est donc pas gratuit, mais il s’appuie sur un processus à la fois formel, et sémantique. Ceci explique son succès, et la portée qu’il obtient dans ce corpus.

L’association construite avec Emmanuel Macron est également intéressante. Si on regarde les références utilisées et leur articulation autour de « Macron », on obtient un schéma éclairant sur l’affaire :

Et qui s’explique par des tweets tels que celui-ci :

On y trouve alors associés des catégories comme « pouvoir », « collusion », « défaillance », « abomination », ou « conspiration ». La teneur de cette association est donc de dénoncer un complot.

On trouve donc dans ce corpus deux attitudes distinctes: la mise en valeur de l’affaire par l’association au bénévolat, ou sa minoration par une théorie du complot.

Le #Fillongate: la condamnation d’un délit

Dans ce corpus, la référence au « Délit » est beaucoup plus présente:

et articule à la fois des éléments généraux (« citoyens », « France », « parti_politique », « homme_politique ») mais aussi des choses qui pointent déjà l’interprétation de l’affaire (« système », « déloyauté », « média »).

La manière dont les tweetos s’inscrivent dans cette thématique est très variable.

Par exemple :

avec « caisse noire »

avec « racaille »

avec « vraies racailles »

On voit donc une forte prise de position avec un vocabulaire marqué pour dénoncer le délit. Mais on voit également comment les twittos détournent en partie le vocabulaire qui peut être utilisé par la classe politique, pour pointer le paradoxe existant entre leurs jugements et accusations, et ceux que l’on peut finalement porter sur eux. Ce corpus se distingue donc du précédent, en ce qu’il se concentre plus sur la nature de l’affaire, et son interprétation politique.

Mais les mêmes conséquences: la demande de transparence

Les messages produits dans ces deux fils donnent assurément un fort écho au besoin de « transparence », ce qui explique le succès de ce tweet donc l’efficacité ressort dans le corpus :

Dans les deux #gate finalement, c’est une vie politique plus transparente qui est souhaitée.