Le discours d’Emmanuel Macron, construction d’un storytelling

Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise

« L’avenir de la nation et du monde dépend de la capacité des citoyens américains à choisir les bonnes histoires. […] c’est la bataille des histoires, et non le débat sur des idées, qui détermine comment les Américains vont réagir à une compétition présidentielle. Ces récits habiles sont la principale forme d’échange de notre vie publique, ils constituent la monnaie de la politique américaine. »

C’est ce qu’affirme Evan Cornog, professeur de journalisme à l’université de Columbia, à propos des élections américaines.

Cette dimension narrative a été popularisée en France grâce notamment à Christian Salmon, et s’est ensuite diffusée auprès des commentateurs politiques, (qui en abusent parfois, qualifiant de « storytelling » des points de communication très peu concernés par la narrativité).

Le « je » et le « nous »

Pour rendre compte des diverses campagnes politiques en cours (primaires, campagne des candidats déjà déclarés), nous élaborons une méthodologie d’analyse, dans le cadre du projet #Idéo2017, qui s’appuie sur différentes fonctionnalités de logiciels existant pour analyser les tweets de compte politiques. En utilisant le Tropes, nous pouvons décrire le style d’un corpus.

En nous attachant à un recueil de 500 tweets publiés par le compte d’Emmanuel Macron (500 tweets extraits au 20 janvier), nous obtenons le résultat suivant :

  • Style plutôt narratif : raconte un récit, à un moment donné, en un certain lieu.
  • Mise en scène : dynamique, action. Prise en charge à l’aide du « Je ».

En regardant les éléments saillants dans ce corpus, le « nous » semble également particulièrement présent. Pour savoir s’il ne s’agit pas d’un trait commun aux tweets politiques de candidats, j’ai comparé avec un corpus de tweets de François Fillon. Cette comparaison fait ressortir l’importance du « nous » chez Emmanuel Macron. Par exemple :

et parfois combiné au « vous » :

Ce récit s’inscrit dans un cadre de mouvement/déplacement, bien retranscrit par le nom même de « En marche ! », que j’avais déjà analysé précédemment.

Pris dans la dynamique du « nous » et du sentiment de « mise en marche », différents thèmes sont alors combinés, comme autant d’éléments narratifs dans le storytelling constitué. Ceci ressort visuellement sur le nuage de mots constitué à partir de ce corpus :

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Les mots les plus fréquents – « Europe », « France, « français », « pays » – sont pris entre les éléments contextuels du récit (« enmarchebordeaux », « macronlille », « enmarche.fr », « macronclermont »), et étayés par des éléments plus programmatiques (« travail », « révolution », « santé »).

Les personnages, le décor, les actions

Ceci se dessine davantage encore sur le graphique suivant, qui permet de faire émerger les grandes thématiques convoquées par le candidat :

Les classes lexicales 1 et 2 concernent en effet l’Europe (avec des verbes comme « prendre (risque) », « agir », « rendre », « recréer ») et la France (avec des termes comme « projet », « émancipation », « construire », « venir », « porter »), et sont deux classes ayant une certaine proximité. Le récit proposé aux Français est donc lié à l’Europe, et les changements et propositions passent largement par l’Europe.

Grâce à une analyse des relations entre les catégories dans le logiciel Tropes, il est possible de caractériser les catégories employées dans les tweets, mais préciser également si elles sont des « actants », ou des « actés » (agent de l’action, patient/objet de l’action). Il ressort que les catégories « Macron » et « enmarche » sont des actants, alors qu’« Europe », « français », « nation », « projet », ou « travail », sont des actés.

La dimension dynamique engagée par le lexique, le nom du mouvement, se retrouve aussi dans la répartition des rôles dans le récit : le protagoniste (le candidat) ne subit pas l’action, mais est l’acteur des actions. On le voit dans les tweets suivants :

ou

ou encore

On reconnaît linguistiquement une dimension active et volontariste de l’action politique.

Il est également notable qu’Emmanuel Macron aborde concrètement une pluralité de sujets dans la classe 4 repérée plus haut, que l’on pourrait considérer comme la catégorie programmatique, qui s’appuie sur les classes narratives autour de la France et de l’Europe.

La trame narrative

Le nuage de mots de cette catégorie est d’ailleurs probant :

On y trouve de nombreux termes liés à l’emploi et à l’économie, ainsi que les acteurs de ces thématiques (salarié, entreprise, étudiant).
Tout se passe comme si le candidat Macron :

  • esquissait un décor qui motive de lui-même une certaine posture et certaines actions (la France et de manière plus générale d’Europe) ;
  • occupait dans ce décor un rôle actif, qui constitue le moteur de l’action (avec des verbes et des substantifs qui renvoient à l’action, au changement, etc.) ;
  • participait à des actions riches en interactants, et en actions générées par le fil narratif.

Alors que certains sondages créditent Emmanuel Macron d’intentions de vote assez conséquentes, et que certains commentateurs s’étonnent de cette « bulle » sondagière, il est intéressant de constater que ce candidat se démarque également par sa stratégie narrative, repérable même dans ses tweets : usage du « je » et du « nous », mise en scène d’un « décor » constitué par la France et l’Europe, utilisation d’éléments lexicaux comme autant de composants du récit constitué, rôle d’acteur vis-à-vis des sujets politiques qui sont des « actés ».

Il élabore en effet une communication narrative, qui met à profit différents ressorts utilisés aujourd’hui dans le storytelling. Cette forme narrative de communication entre, en outre, en adéquation avec des dimensions psychologiques et culturelles (familiarité des histoires, pouvoir de conviction par le recours à une forme d’intelligence narrative, projection et émotion), ce qui contribue à expliquer son succès actuel.

The Conversation

Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Tweets politiques : prendre les candidats au mot

Interview pour France Culture

Qu’est-ce que les termes choisis par les candidats nous disent de leur idéologie ? Entretien avec le linguiste Julien Longhi. Il lance une plateforme pour analyser les tweets politiques et définir le profil lexical des candidats.

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. Crédits :  Cláudio Policarpo EyeEm – Getty

Que nous apprennent les tweets des candidats à la présidentielle sur leur positionnement, les lignes de force de la campagne ? Désormais, des linguistes se penchent sur cette nouvelle forme de discours politique que sont les tweets. Au sein de l’Université de Cergy-Pontoise, certains se sont associés à des informaticiens, capables de traiter de gros volumes de données et d’en faire des statistiques des visualisations. Ensemble, ils viennent de lancer #Idéo2017, une plateforme d’analyse des tweets en campagne électorale. Une manière de prendre les candidats au mot. Entretien avec le linguiste Julien Longhi, à l’origine du projet.

Lire la suite sur le site de France Culture

Pour Valls, Montebourg et Hamon, le mot « travail » ne veut pas exactement dire la même chose

Article initialement publié dans le Huffington Post

Au cours de la primaire de gauche, la conception du travail des candidats, à travers notamment celle du revenu universel, a pris une place importante. Ceci était déjà perceptible dans une précédente étude, réalisée sur les tweets des comptes des candidats à la primaire de gauche du 31/12/2016 au 6/01/2017 où on voyait notamment que ce thème était particulièrement abordé par Benoit Hamon.

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Ceci est toujours très perceptible dans ses récentes prises de parole:

– sur la mise en place :

 

 

– sur le travail comme objet à « partager » :

 

– ou sur les mutations du travail :

 

Ce candidat connaît une percée notable dans les sondages, et sur cette question, une grande partie des débats et controverses concerne moins la faisabilité de cette mesure, ou son coût, que la question des valeurs, et même du sens, attribués au mot « travail ». Ceci s’est d’ailleurs ressenti lors du 3ème débat qui a eu lieu le 19 janvier.

Les sens de « travail » en débat

Lorsque des mots sont en débat, un réflexe courant est de se référer au dictionnaire. En cherchant dans le TLFI (Trésor de la langue française informatisé), on obtient :

Activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées.

Ou encore

Activités ou ensemble d’activités utiles qu’il est nécessaire d’accomplir

Activité contraignante qui occupe

Si « le recours au dictionnaire est souvent l’occasion d’une confirmation – plus rarement d’une problématisation – des représentations du sens commun« , on comprend donc que les aspects d’effort, d’utilité, ou de contrainte, sont souvent associées à ce mot.

D’ailleurs ceci est généralement motivé par le recours à l’étymologie, qui sert souvent à justifier tel ou tel argument.

L’étymologie à prendre avec discernement

Ce retour à l’étymologie est à considérer de manière sérieuse et raisonnée. En effet, la langue évolue, les sens s’enrichissent, se perdent, les langues entrent en contact, le monde change, etc. Pour « travail », mon collègue Franck Lebas s’est penché sur ce qu’il nomme « L’arnaque de l’étymologie du mot ‘travail' ».

A propos de l’étymologie de « travail » qui dériverait du latin « Trepalium », instrument de torture, il écrit :

Cette hypothèse permet de conforter l’idée selon laquelle le travail serait, intrinsèquement, une souffrance, voire un supplice. Cette interprétation linguistique est aussi exploitée par certaines organisations qui stigmatisent le travail vu comme une activité rémunératrice mais pénible, pour valoriser les activités qui procurent de la satisfaction et qui, elles, appartiennent à la sphère des loisirs, de l’utilité sociale, etc. Ces raisonnements sur l’histoire des mots sont doublement frauduleux : ils tentent, d’une part, d’essentialiser une dimension de l’organisation sociale, pour mieux discréditer les idées progressistes. D’autre part, ils alimentent une idée reçue sur le langage, selon laquelle les sources anciennes des mots touchent à la « vérité » des choses.

Il ajoute même qu’il est de « construire, dans le cadre de ces démarches purement idéologiques, de faux parcours étymologiques », ce qui est arrivé au mot travail.

Il ajoute que le « passage du latin tripalium à l’ancien français travaillier, proche ancêtre du verbe moderne travailler, via un verbe hypothétique *tripaliare, est hautement improbable »:

Cette hypothèse autour de tripalium a déjà été contestée, par d’éminents linguistes, dont Émile Littré et Michel Bréal, qui ont privilégié l’influence d’un autre étymon, le latin trabs qui signifie « poutre » et qui a généré entraver. L’idée est que la notion de souffrance, qu’on décèle dans beaucoup d’emplois du mot travail dès son apparition au XIIème siècle, exprimerait ce que ressent l’animal quand on l’entrave (on immobilisait les animaux afin de soigner une blessure ou de les ferrer, par exemple).

Mon propos n’est pas ici de contribuer à l’étude étymologique de ce mot. Ce détour permet néanmoins de considérer le mot « travail » comme un terme moins stablement rattaché à un imaginaire spécifique, et plus enclin à être mis en discussion. C’est notamment ce qui est à l’œuvre dans les débats autour du revenu universel. En effet, tout comme le travail fatigue, est pénible, est contraignant, il est également admis, dans le stock de stéréotypes attachés linguistiquement à ce mot, que le travail rapporte de l’argent. Or, l’idée d’un revenu universel contribue à disjoindre le travail et le revenu. Ceci est donc considéré comme problématique, car allant à l’encontre du sens attribué, voire de notre sentiment linguistique. Les positions divergentes de certains candidats à la primaire de gauche contribue au débat.

3 positions différents sur le travail pour Montebourg, Hamon et Valls

En regardant sur le site d’Arnaud Montebourg, on peut lire des propositions telles que :

« C’est une garantie pour tous d’accéder à un contrat de travail, d’activité, ou de formation. C’est la société des trois contrats destinée à éradiquer le chômage de masse. »

« Le contrat de travail sera sécurisé, rendant toute sa place au CDI »

« Apprivoiser la révolution numérique, c’est amener les plateformes à assumer la protection sociale de leurs salariés qui sont aujourd’hui faussement indépendants. A nous de faire émerger une société de travailleurs autonomes avec une protection sociale et un revenu décent et de contribuer à la libération par le travail et non pas l’apparition d’un esclavage numérique en transformant les entrepreneurs en serfs »

Il est intéressant que ce candidat, identifié comme plutôt à la gauche du PS, rattache le travail au « contrat » et à la « protection sociale ». Il s’agit alors d’une vision très administrative du travail, dont la nature même de l’ouvrage est mise au second plan au profit de l’appareil qui entoure sa mise en œuvre.

Chez Benoît Hamon, les choses sont différentes:

Parce qu’il est trop souvent synonyme de souffrance et de perte de sens, nous voulons refonder notre rapport au travail. Nous défendons un travail choisi et non plus subi, un travail partagé et dont la valeur dépasse la seule contribution au PIB. C’est ainsi que nous répondrons au défi de la raréfaction du travail et de la révolution numérique. Nous voulons en finir avec la précarité, et donner la possibilité à tous de s’émanciper et de s’engager librement dans l’activité qui répond à ses aspirations. C’est pourquoi nous créerons le Revenu Universel d’Existence, protection sociale du XXIème siècle.

On lit même en filigrane une critique du sens commun rattaché au travail: la remotivation positive du sens de travail passe alors par une refondation du rapport au travail. Ceci étaye l’idée qu’au-delà de leur aspect dictionnairique, le sens des mots est largement guidé par les rapports que nous entretenons avec eux. Benoît Hamon se livre donc à une redéfinition du mot, à travers la définition d’un nouveau lexique associé (raréfaction, partage, aspirations). C’est finalement une version positive et émancipatrice du travail, différente de celle, contractuelle et plus concrète, d’Arnaud Montebourg.

Enfin, de son côté, Manuel Valls a une vision plus globale, voire politicienne, du travail :

Je veux une société du travail. C’est pourquoi ma priorité est la lutte contre le chômage.

Bâtir une protection sociale universelle qui comble l’écart entre les travailleurs indépendants, artisans, commerçants et les salariés.

Revaloriser le travail, c’est d’abord mieux le rémunérer, donner des marges de manœuvre aux travailleurs qui se sentent souvent étranglés dès le début du mois.

Le travail est en effet considéré du point de vue collectif et économique (société, chômage, écart entre les travailleurs, rémunérations), et accompagné d’intentions (« je veux », rôle des infinitifs, etc.).

On le sait, les mots sont souvent au centre des débats, et derrière eux, ce sont les valeurs, les symboles, ou les habitudes, qui sont véhiculées. En mobilisant un terme qui bénéficie d’un sens commun fortement institué, rattaché à un itinéraire étymologique contestable mais bien souvent admis, certains candidats en font un enjeu de campagne : derrière la bataille politique, se joue une bataille sémantique.

Primaire à gauche : les tweets de quatre candidats décortiqués

LE CERCLE – Julien Longhi, linguiste, a analysé les messages postés sur Twitter par les candidats de la primaire de la gauche.

17 minutes chacun pour convaincre. Les candidats de  la primaire de la gauche débattront pour la première fois ce jeudi 12 janvier à 21 heures, sur TF1, LCI, Public Sénat et RTL. Ils n’ont pas attendu le début du sprint télévisé pour décliner leur programme sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, Vincent Peillon, Manuel Valls, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg notamment, sont déjà passés à l’offensive. Une analyse lexicale fait ressortir leurs sujets de prédilection ainsi que leur vision de l’action publique.

1. Vincent Peillon : «devoir» et «pouvoir» avec l’Europe

Dans les tweets de Peillon, «devoir», «pouvoir» et «européen» sont particulièrement saillants. On peut ainsi caractériser son discours comme lié à une nécessité à laquelle la France est confrontée, et une possibilité d’action qu’il propose. Avec par exemple «Les Français doivent prendre la mesure des défis auxquels nous devons faire face avec courage et force #peillon2017″, il met les électeurs devant une nécessité de réaction.

Ce «devoir» est parfois même combiné au «pouvoir», comme dans «La France peut et doit gagner la bataille de l’intelligence #peillon2017». Il y a donc avec ces deux modalités, celle du «devoir» et celle du «pouvoir», une vision active de l’action politique, une nécessité qui s’impose, et l’incarnation par le candidat d’une solution. Ceci passe notamment par un discours important sur l’Europe.

 

2. Manuel Valls, «vouloir» pour la «République» et la France, «faire gagner la gauche»

En effet, ce candidat se distingue par l’emploi de «vouloir». Ceci signifie qu’il y a une implication personnelle du candidat, une intention, un projet, qui est différente de la capacité ou de la nécessité utilisée par Peillon. Ce projet concerne à la fois la France, et la République.

Il affirme une volonté politique pour la France et les Français : «Je veux que la France, que les Français reprennent pleinement leur destin en main !» ou «La République forte, celle qui tient ses promesses, c’est le chemin vers une France plus juste. #Valls2017». On voit que «République » n’est jamais loin de France. Mais stratégiquement, cette volonté pour la France et la République est mise au service de la victoire de la gauche.

Puisque «gagner» concerne la gauche : «Faire gagner la gauche, c’est pour moi faire gagner la France. #LEmissionPolitique #Valls2017» ou «Je suis au coeur des progressistes. Je veux convaincre et faire gagner la gauche à la présidentielle. #LEmissionPolitique #Valls2017». Se dessine donc un profil de Valls plutôt habile : prise de hauteur avec une volonté pour la France, mais prise en compte de la base d’électeurs de la primaire, avec la valorisation de la gauche par la victoire.

3. Benoît Hamon, du «social» et du «travail»

Ce candidat incarne lexicalement l’aile gauche du PS, avec le recours à social et travail. Le social est essentiellement lié à la question du revenu universel, et donc du travail : «Le #RevenuUniversel est la protection sociale de demain, la raréfaction du travail rend le système actuel obsolète» ou «#RevenuUniversel, renouveau démocratique et justice sociale attirent ce soir encore beaucoup de monde à #Bizanos » par exemple.

Ceci est très différent de l’usage de social par Manuel Valls par exemple, où il est question de « modèle social ». Il affirme donc une vision radicalement différente du travaill : «Sans partage organisé du temps de travail, nous ne parviendrons pas à lutter contre le chômage ou le burn out», liée à des questions sociales larges (qualité de vie, questions médicales).

4. Arnaud Montebourg en embuscade sur le travail

Si Hamon truste la question du travail, Arnaud Montebourg essaye néanmoins d’en faire son sujet de prédilection, comme dans «Je suis le candidat du travail, et de la fiche de paie. Je baisserai la CSG pour les salaires inférieurs à 2000 euros #PouvoirDachat». Cependant, son profil est moins fort sur ce terme car il l’investit de manière plus hétérogène, et sans le corréler directement à d’autres termes-clés, comme «social » pour Hamon.

Finalement, ce sont trois grands pôles qui se distinguent : celui de la nécessité et de la possibilité avec Peillon, dans une approche européenne ; celui de la volonté pour la France dans une perspective de victoire de la gauche pour Valls ; celui de changement de paradigme du travail et du social pour Hamon, dont le discours sur ce sujet semble plus audible que celui de Montebourg (grâce au maillage avec le revenu universel et le social).

Voilà pourquoi vous sentez parfois un air de famille entre les discours de François Fillon et du FN

Article initialement publié dans le Huffington Post

« Ce qui risque de fracturer la droite, c’est les prises de position successives de membres de l’extrême droite, anciens membres du FN, pour la candidature de François Fillon ». Cette citation d’Alain Juppé, certes celle d’un concurrent de François Fillon entre les deux tours de la primaire de droite, étaye l’idée d’une proximité possible entre des points du programme du candidat des Républicains et celui du FN.

L’article constate également que « plusieurs sites de la « fachosphère » ont cherché, à des degrés divers, à favoriser la candidature du Sarthois », comme Fdesouche ou Le salon beige. Le journal Minute avait « affirmé il y a quelques semaines qu’il se prononcerait en faveur de M. Fillon en cas de qualification au second tour. Qu’importe que ce dernier puisse manger une partie de l’électorat de Marine Le Pen ».

Cette tribune n’a bien sûr pas comme objectif de comparer François Fillon à Marine Le Pen, ni d’associer les programmes de l’un et de l’autre. Il s’agit plutôt de voir concrètement si cette proximité avec le FN se voit linguistiquement, et s’il est pertinent de parler d’une telle proximité.

L’animation du lexique: du thème « terrorisme » au profil national

Cette étude porte sur l’ensemble des tweets issus des comptes des candidat-e-s à la primaire de droite, sur le mois avant le premier tour de la campagne. Elle mesure différentiellement le vocabulaire des différents candidats, et fait ressortir ce qui est distinctif de tel ou tel candidat (ceci est un des enjeux du projet #Idéo2017). L’objectif est de passer du relevé d’un vocabulaire particulier, à des thèmes de discours.

En analysant les termes caractéristiques de François Fillon, on observe des spécificités autour des termes « totalitarisme », « redressement », « nationalité » et « liberté ». Ceci permet de retranscrire plus spécifiquement l’association parfois faite avec le FN:

 

 

Voici quelques exemples:

  • RT @Nico_Roy: « Il y a un nouveau totalitarisme, comme le nazisme, qui se pare des couleurs de l’Islam. » @FrancoisFillon #Toulouse
  • RT @Isabelle_92: Énormément de monde pour la séance dédicace de @FrancoisFillon pour #Vaincre le totalitarisme islamique @Fillon2017_fr @Fi…
  • RT @PaulVary: « Il faut une alliance mondiale pour combattre le totalitarisme islamique » @FrancoisFillon #Fillon2017 https://t.co/VgZXBlj4NP
  • Face au totalitarisme islamique, il faut une coalition mondiale pour l’éradiquer. Il faut parler avec la Russie.
  • RT @FillonFrance: Il faut rétablir l’autorité de l’Etat. Ce sera, avec l’objectif de plein emploi, ma première priorité. @FrancoisFillon #F…
  • Depuis longtemps, je dis qu’il faut faire face au risque d’une guerre mondiale provoquée par le totalitarisme islamique. #PalaisDesCongrès

A cela s’ajoutent 5 occurrences de « totalitaire », telles que:

  • RT @catherinemangin: @FrancoisFillon #LeGrandJury redoute un mouvement politique totalitaire mondial issu de l’islam radical

On perçoit donc bien le ciblage qui est fait de l’islam/islamisme, avec beaucoup de co-occurrences de « totalitarisme islamique ». On peut lire une manière de caractériser l’islam assez proche de l’élément « islam radical » employé par les cadres du FN (avec une rubrique dédiée sur leur site).

François Fillon se distingue également de ses anciens concurrents par l’usage de « nationalité »:

 

 

 

Cet usage est particulier car en retournant au corpus on trouve des tweets comme:

  • #Terrorisme Ceux qui ont pris les armes contre leur pays doivent être déchus de la nationalité française. #19hRuthElkrief
  • #terrorisme Quand on combat contre son pays, on doit perdre la nationalité de ce pays. #LEmissionPolitique
  • Je veux retirer la nationalité française à tous ceux partis combattre contre nous en Syrie ou Irak.

On trouve donc « déchus de la nationalité », « perdre la nationalité et « retirer la nationalité ». La question nationale est également présente autour de la question du « redressement »:

 

 

En effet, on repère beaucoup d’emplois de « redressement national »:

  • RT @P_Beaudouin: @FrancoisFillon: « Je suis le seul vote utile car je suis le seul à proposer un projet de redressement national »
  • RT @Fillon2017_fr: Les porte-paroles de @FrancoisFillon mobilisés partout en France pour gagner la bataille du redressement national. #Fil…
  • RT @BrunoRetailleau: -@FrancoisFillon a fait le meilleur diagnostic et a les meilleurs remèdes. Il est l’homme du redressement national. @F…

La question nationale est donc éclairante pour l’étude de l’idéologie de François Fillon: la nationalité peut se perdre, elle se mérite, et il est présupposé un état antérieur de meilleure qualité qui n’est plus, ce qui nécessite un « redressement ».

« National »… mais libéral

Ce qui distingue également François Fillon, c’est sa vision du travail, qui va de pair avec la question de la liberté:

  • Si on ne travaille pas plus on ne pourra pas redresser la situation. C’est la clé du redressement. #LeGrandJury

La « liberté » est très caractéristique de son discours:

 

 

On trouve notamment un discours à l’encontre de l’état, comme dans ce tweet:

  • RT @mcamilleri: @FrancoisFillon: « tous les Français me l’ont dit: que l’Etat arrête de nous emmerder! » #Liberté #Enghien @Fillon2017_fr…

C’est peut-être ce qui le distingue de la ligne du Front National: en effet, si le terme « liberté » est également un terme saillant du discours frontiste, il concerne au premier plan la liberté de la France vis-à-vis de l’Europe. L’Etat protecteur est en effet en général valorisé par le FN. Dans le discours de François Fillon, la liberté est valorisée en tant que telle, comme valeur, alors qu’elle est plus controversée dans le discours frontiste (la liberté est mise en valeur, mais pas forcément le fait d’être libre, comme je l’avais montré dans une analyse des discours de Jean-Marie Le Pen).

D’un lexique partagé à un air de famille

A la fin de cette petite étude, nous pouvons conclure que les amalgames qui associent François Fillon et le FN sont un peu hâtifs. Néanmoins il se dégage un air de famille lexical, par l’emploi des termes distinctifs « totalitarisme » associé à « islamique », « redressement », « nationalité » et « liberté ». François Fillon investit donc des termes habituellement utilisés par le FN, ce qui peut expliquer son succès (puisque ces thèmes favorisent électoralement le FN).

En retournant au corpus, on constate que les usages de ces termes construisent des thèmes forts dans le discours de François Fillon: l’opposition à l’islamisme (vu comme totalitarisme), la construction de la nationalité et de la nation selon une vision qualitative (avec la question du redressement et de la perte, qui présuppose un état négatif qu’il faut revaloriser).

C’est sur son libéralisme que François Fillon se distingue du FN: s’il partage l’emploi du terme « liberté », il n’en partage pas forcément le sens. Il parle des libertés individuelles des Français, et en particulier des travailleurs, face à l’état, alors que le Front National thématise traditionnellement la liberté de la nation française contre l’Europe (la liberté dans un sens collectif donc, alors que François Fillon la développe davantage selon un certain individualisme).

François Hollande, des vœux au futur antérieur

Julien Longhi, Université de Cergy-Pontoise

Abondamment commentés, les derniers vœux de François Hollande ont été interprétés au choix comme des avertissements, ou comme une sortie soignée. En comparant son discours à celui de l’an dernier, on observe de nettes différences qui sont instructives pour comprendre les motivations de ces messages.

Afficher une certaine proximité

Une analyse menée avec le logiciel Tropes indique que le discours du 31 décembre 2015 présentait un « style plutôt argumentatif » avec une « mise en scène du type dynamique, action », et notamment une « prise en charge à l’aide du je ». Le discours de 2016 a un style « plutôt énonciatif », « qui établit un rapport d’influence, un point de vue ».

Cette distinction entre « argumentatif » et « énonciatif » permet de faire émerger les intentions de communication des deux discours : si les vœux de 2015 brouillent la « frontière entre les vœux et les autres allocutions politiques », on peut peut-être considérer ces derniers vœux comme une prise de distance vis-à-vis de l’argumentation politicienne, pour devenir une occasion de mettre en scène une certaine identité présidentielle, afin de viser le futur dans la constitution d’une image valorisée.

Les instructions du Président

Ceci est également visible dans le recours aux verbes performatifs, qui « expriment un acte par le langage » : en 2015, ils représentaient 0,5 % des verbes utilisés, alors qu’en 2016 cette proportion grimpe à 4,1 % du total. Certes, l’ordre de grandeur rend la comparaison difficile à fiabiliser, mais en corrélant cette mesure à la présence des pronoms personnels, on peut en tirer quelques interprétations :

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Ainsi, une nette différence apparaît dans la manière dont François Hollande s’adresse aux Français : en 2015, il s’inclut dans un collectif alors qu’en 2016 il s’adresse à eux. Le chef de l’État leur livre, en quelque sorte, un message à retenir, des instructions, et se confère un statut différent.

La dernière allocution de François Hollande a également une tonalité beaucoup moins émotive : en 2015, la catégorie « sentiment » était la deuxième détectée par le logiciel, avec des expressions telles que : « l’horreur avec les actes de guerre perpétrés à Saint-Denis et à Paris », les « familles plongées dans le chagrin », les « blessés atteints dans leur chair », « notre compassion et notre affection », des « compatriotes en détresse ».

« Confiance et espérance »

L’année 2016 aura également connu de nombreux drames et événements, mais le président mobilise moins cette catégorie (classée en quatrième position), et il adresse des messages plus larges, parlant notamment de « confiance », d’« espérance », de « bien-être ».

Ainsi, les vœux de 2015 s’attachaient largement à exprimer des actions, et articulaient des événements et des messages politiques, donnant une image volontariste et active de la politique. Cela se voit sur la représentation des verbes qui induisent des actions (verbes factifs, qui représentent plus de 54 % des verbes) :

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En revanche, ceux de 2016 s’attachent plus à construire une image de Président qui délivre un message, « performe » et vise le futur. Un futur qui n’est pas directement contextuel et événementiel, mais plus humaniste et général :

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Cette évolution rejoint la problématique de l’ethos, qui permet de cerner de manière discursive la question de l’identité politique : l’analyse de Jaubert et Mayaffre sur la transformation de François Hollande en lien avec son « humour légendaire » montre « des recoupements mais aussi des écarts entre ethos préalable et ethos construit, entre ethos construit et ethos validé ».

Dans les vœux de 2016, on perçoit bien une nouvelle forme d’ethos pour François Hollande, qui acquiert un autre statut en tant que président en exercice qui ne se représente pas et qui n’aura donc effectué qu’un seul mandat.

Ces résultats permettent également de remarquer que François Hollande considère ce discours dans un sens quelque peu différent que celui qui est traditionnellement attribué aux vœux du Nouvel An : si l’on en croit la base TLFI, il semblerait en effet que l’on s’éloigne des « souhaits que l’on adresse à autrui, dans diverses circonstances, à l’occasion du Nouvel An, d’un événement important », pour rejoindre la définition, liée à un contexte officiel ou administratif, de « Volonté, prescription exprimée par une autorité ».

François Hollande livrerait donc, en quelque sorte, ses dernières volontés en tant que président – ce qui devrait théoriquement conférer à ses vœux une efficacité supérieure aux simples souhaits traditionnellement adressés aux Français.

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Julien Longhi, Professeur des universités en sciences du langage, Université de Cergy-Pontoise

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